A propos de la loi de 1905

Christian Eyschen

(Fédération Nationale de la Libre pensée, France)

A propos de la loi de séparation française de séparation des Eglises et de l'Etat (9 décembre 1905)

La Libre Pensée n'est pas une doctrine constituée, avec ses vérités intangibles, ses dogmes immuables, ses certitudes venues d'ailleurs. Elle est une méthode à la fois d'analyse et aussi de comportement.

Les libres penseurs ne dissocient pas leur refus de voir les religions qui passent diriger l'humanité qui dure, de leur combat inlassable pour l'émancipation totale de l'humanité. Sur tous les terrains où il y a l'oppression, ils sont là, ils agissent. C'est pourquoi, ils refusent l'asservissement intellectuel, culturel, économique, social et militariste.

Pour les libres penseurs, les religions sont toujours l'adversaire de la démocratie. Dans notre pays, l'Eglise catholique mène une action particulièrement nocive contre la laïcité, la démocratie et la République. Il est étonnant, mais logique, de constater que plus les églises se vident des fidèles, plus l'Eglise entend régenter à nouveau les corps et les consciences. « C'est la faiblesse des hommes, qui fait la force des prêtres » disait Boileau. Depuis la première guerre mondiale, en matière de laïcité, on pourrait dire que c'est la lâcheté des hommes politiques qui a fait la force de l'Eglise catholique.

Origines de la Libre Pensée

La Libre Pensée est la plus vieille des organisations françaises se réclamant des idéaux de la Laïcité. Fondée en 1847 par la rencontre de quatre grands courants politiques:

  • les anarchistes et les marxistes, membres de la Première Internationale de Marx et Bakounine,
  • les radicaux, à l'époque où ils étaient anticléricaux et le grand parti de la République.
  • des Loges maçonniques du Grand Orient de France.

La Libre Pensée fut donc dès l'origine, un creuset dans lequel toutes les tendances de la Gauche Laïque et Républicaine se retrouvaient pour agir sur des objectifs communs. Elle repose sur quatre principes fondamentaux:

  • La séparation des Eglises et de l'Etat que nous appelons "Laïcité"
  • La lutte antireligieuse
  • Le refus de toute oppression économique
  • La lutte contre la guerre et le militarisme.

A l'origine du clericalisme

Pour bien comprendre les enjeux du combat qui est le nôtre, il faut remonter au IVème siècle avant notre ère. Le christianisme a quelques siècles, et il est la religion des esclaves et des opprimés. Il est né d'une secte juive, les Esséniens. Après la grande révolte du peuple juif, en 70 avec la seconde destruction du Temple, le christianisme va se détacher de sa matrice d'origine: le judaïsme, pour s'élargir à l'univers.

Le véritable fondateur de cette religion est Paul (et non Pierre qui n'avait pas compris grand chose à toute cette affaire). Il a un coup de génie: il faut ouvrir la religion aux non-juifs, d'où son nom «L'Apôtre des gentils» (gentil étant le non-circoncis). Il fait non seulement se séparer du judaïsme, mais pour plaire aux Romains, qui ne plaisan- taient pas avec ceux qui refusaient la «Pax Romana», il fallait dénoncer les juifs.

C'est pourquoi le christianisme est le véritable fondateur de l'antisémitisme. On verra ainsi que, plus tard, ce sont les conciles de Latran de 1215 à 1230, qui ont théorisé «juridiquement» l'antisémitisme d'Etat. Les lois raciales de Nuremberg et le statut des juifs de 1940 de Pétain, ne seront que la copie de ce qu'avaient promulgué les Conciles de Latran. L'aristocratie de l'Empire romain étant convertie aux cultes paiens, c'est d'abord dans le milieu des esclaves que le christianisme grandit. Au point où il commence à compter dans la vie sociale. C'est alors que les dirigeants de l'Eglise chrétienne proposent à l'Empire romain qui commence à se disloquer, le pacte suivant: «On vous assure la paix sociale avec les esclaves, en échange on veut une place dans l'Empire». Constantin, par son Acte, va reconnaître le christianisme comme une des religions de l'Empire. Puis, pour le plus grand malheur de l'Eglise, Julien successeur de Constantin abroge l'Acte. C'est pourquoi, il est poursuivi d'une haine multiséculaire par les Saints-Pères qui l'ont fait rentrer dans l'Histoire sous le nom de Julien l'Apostat. Puis avec Théodose et son Edit de Milan, le christianisme devient LA religion de l'Empire, et tous les cultes païens sont interdits.

Mais ce pacte social faisait qu'il y avait égalité juridique entre l'Eglise et le Pouvoir. Avec la crise de l'Empire romain et sa chute, l'Eglise va rester seule en piste. Elle va prendre la prédominance sur le pouvoir civil. Surtout après le Baptême de Clovis, où le pouvoir ne sera légitime que s'il émane de Dieu, et si le Roi va se faire sacrer à Reims et oint par l'huile du Seigneur. L'apothéose en sera le Saint Empire romain germanique.

Ce pacte social du IVème siècle sera l'acte fondateur du cléricalisme, qui est l'ingérence du religieux dans le pouvoir civil. Cela rentrera dans l'Histoire en Occident sous le nom de «la Théorie des 2 glaives», le Temporel et le Spirituel et à Byzance sous le nom de «la Symphonie des pouvoirs». L'Aigle byzantin a deux têtes: une religieuse, l'autre militaire.

Bon gré, malgré, ce pacte social va perdurer jusqu'à la Révolution française. Et puis avec la Renaissance, il y a un formidable mouvement social, de production et d'idées. Tout ceci n'arrange pas les affaires de l'Eglise. En 1516, François Ier impose au Vatican la signature d'un concordat, c'est un contrat qui lie deux personnalités juridiques égales. Le pouvoir civil redevient l'égal du pouvoir religieux. Quelque part, la laïcité est née de ce concordat.

Pendant ces quatorze siècles, c'est l'Eglise qui a le monopole de l'enseignement. Et celui-ci n'est donné qu'à deux catégories de personnes bien précises:

  • les clercs pour gouverner les âmes,
  • les nobles pour gouverner les gens.
A cette époque, on est un sujet. On n'a aucun droit. Comme l'homme est une créature divine, il n'a que des devoirs envers Dieu puisqu'il est l'image de Dieu. L'homme est redevable de tout à Dieu et une bonne vie d'homme, c'est une vie dans une vallée de larmes dans lequel il doit suer sang et eau et là, il conquiert sa place au paradis.

Et Puis vint le Temps de la Révolution Francaise

Indépendamment de la conscience qu'ils en avaient à l'époque, les révolutionnaires vont provoquer un changement radical. Par la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, ils décrètent que c'est l'Homme qui est désormais l'axe de la société et non plus Dieu. L'Homme a des droits simplement parce qu'il est Homme. Quand le Vatican, par son bref1 «Quod Aliquantum», condamne la Déclaration des Droits en indiquant qu'elle «chasse Dieu de la société», cela est parfaitement exact. Même si toutes les déclarations sont faites «sous l'auspice de l'Etre suprême», c'est bien laïciser la société qu'il s'agit.

Cela est la plus grande révolution qu'il y a dans la Révolution Française. C'est-à-dire que le monde n'est plus organisé autour d'un axe central qui s'appelle Dieu, le monde est organisé autour d'un axe central qui s'appelle l'Homme. On a du mal à imaginer aujourd'hui la révolution qu'a été cette conception, qui est le produit des Lumières et de l'avancement de la conscience de l'Humanité.

La Révolution française est profondément anti-chrétienne car l'Eglise, liée à l'Ancien Régime, est un obstacle à la marche en avant de l'Humanité. La Révolution va donc nationaliser les biens du clergé, tenter d'étatiser l'Eglise puis, à la fin de la vague révolutionnaire comme sousproduit de 1789 par les thermidoriens, procéder à la première séparation des Eglises et de l'Etat de notre pays, qui va durer de 1795 à 1801.

Le Concordat Napoléonien

Quand Napoléon fait le concordat, il est un incroyant, un athée. Quand il conclut le concordat, il le dit clairement à l'époque, il veut la religion toute puissante : «...Comment avoir de l'ordre dans un Etat sans religion ?... la société ne peut exister dans un Etat sans une religion. La société ne peut exister sans l'inégalité des fortunes, et l'inégalité des fortunes ne peut exister sans la religion. Quand un homme meurt de faim à côté d'un autre qui regorge, il lui est impossible d'accéder à cette différence s'il n'y a pas là une autorité qui lui dise «Dieu le veut ainsi, il faut qu'il y ait des pauvres et des riches dans le monde ; mais ensuite et pendant l'éternité le partage sera fait autrement»...

«C'est en me faisant catholique que j'ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Egypte, en me faisant ultramontain que j'ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple de juifs, je rétablirais le Temple de Salomon».

Cette conception des choses n'est pas propre à Napoléon. C'est la position de Kant qui est un athée mais qui, dans sa fameuse promenade de Königsberg, voit la révolte sociale et dit: «Moi, je n'y crois pas, les élites ne doivent pas croire en Dieu, mais les pauvres doivent y croire parce que c'est un facteur de paix sociale». Même Hitler, dans «Mein Kampf», prend toujours pour référence l'Eglise catholique comme modèle de l'organisation sociale qu'il veut instituer. Mussolini, qui était socialiste, au début du siècle, même un libre penseur, va faire les accords du Latran en 1929 et le concordat pour donner une place à l'Eglise.

Le problème de la religion dans l'Etat, ce n'est pas un problème de croyances mais une question sociale. Le problème est que le message qu'elle délivre est un message qui sert tellement de gens en disant qu'il faut tout accepter, qu'il ne faut pas se révolter, qu'il faut aimer son prochain. L'Eglise a constitué en France une association qui s'appelle le Centre Français du Patronat Chrétien où on apprend aux patrons à licencier avec amour. C'est important et c'est authentique. Les patrons chrétiens sont pour l'égalité dans l'entreprise, mais comme ils le disent euxmêmes: «nous sommes égaux devant Dieu pas devant les hommes», cela permet un certain nombre de facilités, on peut licencier avec un «plus» quand on est chrétien, c'est mieux que de licencier sans amour. Peut-être pas pour le salarié qui est licencié, mais pour celui qui l'opère, sûrement.

De part ce concordat, la religion chrétienne est considérée comme la religion de la majorité des Français. Ce n'est pas la religion de tous les Français, sauf entre 1815 et 1830 avec le début de la Restauration. Dans le concordat il y a une place pour toutes les religions. Le chef de l'Etat est obligatoirement de confession catholique, qu'il soit Empereur, Roi ou Président de la République, le concordat lui impose la confession catholique.

Si Napoléon fonda l'Université publique pour les élites sociales, il laissa l'enseignement primaire entièrement aux mains de personnes privées et surtout aux congrégations religieuses, particulièrement aux Frères Ignorantins. Rien que ce nom en dit long.

L'oevre scolaire de la Troisieme Republique

Celle-ci est proclamée le 4 septembre 1870. Il y a la défaite de la Commune de Paris qui a fait une euvre laïque considérable. En à peine deux mois, elle décrète la deuxième Séparation des Eglises et de l'Etat et avance vers l'obligation, la gratuité et la laïcité scolaire. Son écrasement ouvre une période de réaction et d'ordre moral. Il faudra dix ans pour qu'une majorité républicaine soit élue, par l'alliance des républicains bourgeois et du mouvement ouvrier qui renaît. Cette alliance se fait sur deux axes: l'amnistie des Communards et la Laïcité.

Le 16 juin 1881, Jules Ferry fait voter la gratuité de l'école primaire publique. Le 28 Mars 1882, c'est la loi qui rend l'Instruction obligatoire. Quand il y a suffisamment d'insti- tuteurs de formés dans les Ecoles Normales, la IIIème République décide le 30 octobre 1886, la laïcisation du personnel enseignant, interdit toute subvention publique à l'enseignement primaire privé.

L'euvre législative de la IIIème république est considéra- ble, elle décide la liberté de la presse, de réunion, d'asso- ciation, syndicale. Elle rétablit le divorce. Elle permet les enterrements civils. Elle impose le service militaire aux séminaristes qui en étaient jusque-là dispensés. Pour son euvre de liberté, elle se bat contre l'Eglise à tous moments et à tous propos.

La Séparation des Eglises et de l'Etat

Après qu'une génération entière ait été formée sur les bancs de l'Ecole publique, l'opinion est prête à la séparation des Eglises et de l'Etat. De par le concordat de 1801, les Eglises sont parties intégrantes de l'Etat, elles sont juridiquement «publiques» et leurs employés sont des fonctionnaires. Pour séparer, il faut donc faire passer les Eglises du public au privé. C'est pourquoi, les Républicains font voter la Loi de 1901 sur les associations qui va permettre à n'importe qui, pour n'importe quel objet, de faire n'importe quelle association. Il n'y a pas d'équivalent d'une telle loi dans le monde, car il n'y a pas ailleurs une loi comme celle de 1905.

Ensuite, les Républicains vont s'attaquer aux Congrégations. Le 4 juillet 1904, les 1.500 congrégations doivent solliciter leur autorisation. Par un décret, le gouvernement les refuse toutes sauf trois, qui sont liées à l'armée. Les congréganistes s'en vont vers d'autres cieux. Toutes les congrégations enseignantes sont interdites.

Après six mois de débats, est promulguée le 9 décembre 1905, pour la troisième fois la séparation des Eglises et de l'Etat.

La Loi et son Contenu

La République s'affirme par cette loi. La République triomphe avec la séparation des Eglises et de l'Etat. L'alliance du trône et de l'autel est brisée à jamais dans la Raison humaine. Le point de départ du mouvement qui verra le vote de la loi vient du refus du Vatican de nommer deux évêques désignés par le gouvernement, évêques jugés trop « tièdes » avec la République. Lors de sa visite diplomatique à Rome, le président Loubet refuse de visiter le pape et, suite aux réactions du Vatican à cette non-reconnaissance, il refuse de recevoir la note diplomatique de Pie X. La rupture est alors consommée entre la IIIème République et le Vatican. Examinons la séparation codifiée par la loi : ce qui est fondamental dans cette loi, c'est la séparation du spirituel et du civil. C'est l'avènement plein et entier de la République. L'article 1 réduit à néant la volonté cléricale de main-mise de l'Eglise sur les citoyens en proclamant: «La République assure la liberté de conscience».

L'article 2 affirme: «LaRépublique ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier, qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes... Les établissements publics du culte sont supprimés».

La République assurant le libre exercice des cultes - ce qui est la démocratie - oblige les établissements religieux à se transformer en associations cultuelles sous le régime de la loi de 1905. Le clergé devient une association comme une autre, avec les mêmes droits et devoirs que les autres. (Art. 18 de la loi). La religion devient une affaire privée.

Les associations cultuelles doivent subvenir par leurs propres moyens à leur fonctionnement. L'article 19 stipule: «Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements ou des communes. Ne sont pas considérées comme subven- tions, les sommes allouées aux monuments classés pour réparations».

Tous les établissements religieux, leurs mobiliers et leurs archives sont déclarés propriété de l'Etat au moment de la promulgation de la loi. A partir de ce moment-là, il est normal que l'Etat entretienne ce qui lui appartient ou rembourse des frais de réparations. Il n'y a là nulle reconnaissance du caractère de service public de la religion. Par contre, tous les établissements religieux construits après la loi de 1905 sont propriétés de l'Eglise et non de l'Etat; il ne lui appartient donc pas de les réparer.

La loi de 1905 aborde tous les problèmes de la séparation des Eglises et de l'Etat. L'article 27 indique que: «les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal» et l'article 28: «interdit à l'avenir d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit».

La loi, dans sa lutte contre le cléricalisme, modifiera y compris le Code pénal. Ainsi le nouvel article 199 considère comme un délit de célébrer le mariage religieux avant le mariage civil. De même est considérée comme un délit, la levée du corps avant que l'Officier d'Etat civil ait donné l'autorisation d'inhumer.

La loi de 1905 se termine, en son article 44, par l'abrogation du Concordat napoléonien, par l'abrogation de la loi du 18 Germinal de l'an X et par l'abrogation de toutes les lois reconnaissant les religions catholiques protestantes et israélites comme des services publics. L'Etat devient maître chez lui et il renvoie les prêtres, les pasteurs et les rabbins à la solitude de la prière.

La Libre Pensée dans le combat pour le vote de la loi

Le président de la Commission qui fait le projet de loi est Ferdinand Buisson, président de l'Association Nationale des Libres Penseurs. Le rapporteur est Aristide Briand, lui aussi éminent libre penseur. La position officielle de la Libre Pensée est décidée dans une assemblée, le 21 mars 1905, réunie au siège du Grand Orient de France. Elle invite la Chambre, «à élaborer sans retard et sans interruption, une loi de séparation des Eglises et de l'Etat», selon des indications précises que Ferdinand Buisson déposera à la Chambre. Ferdinand Buisson explique: «Nous nous sommes battus, nous nous battons pour savoir qui de l'Eglise ou de la Révolution, en ce moment aura le dernier mot en France».

Aristide Briand s'explique en ces termes: «Une loi n'a jamais pu, heureusement, réussir à réduire, ni les individus, ni les groupements d'individus, encore moins leur pensée à l'impuissance. Une telle loi que se proposerait un tel but ne pourrait être qu'une loi de persécution et de tyrannie. Ce n'est pas la conception de la Libre Pensée. Nous considérons qu'une saine conception du régime nouveau exclut toute possibilité d'inscrire, soit au budget de l'Etat, soit au budget du département ou de la commune, l'obligation pour les citoyens de participer sous la forme de l'impôt, à l'entretien du culte. Pour nous, républicains, la séparation c'est la disparition de la religion officielle, c'est la République rendue au sentiment de sa dignité et au respect de ses principes fondamentaux. Ils lui commandent de reprendre sa liberté, mais ils n'exigent pas que ce soit par un geste de persécution. Ce que veulent les Libres Penseurs, c'est que vous arrachiez à l'Eglise, le bouclier officiel derrière lequel elle peut s'abriter contre les efforts de la Pensée Libre; ce qu'ils ont seulement le droit d'exiger, c'est que l'Etat les mette face à face avec l'Eglise pour lutter à armes égales pour pouvoir opposer enfin en combat loyal, la force de la Raison aux brutalités du dogme. Je termine, si vous voulez que la Raison Libre ait un abri, construisez-le lui; mais n'essayez pas de la faire coucher dans le lit de l'Eglise. Il n'a pas été fait pour elle».

Les Libres Penseurs étaient pour la loi de 1905. Ils l'ont tous votée. «La Lanterne», journal Républicain anticlérical, proche de la Libre Pensée, écrira après le vote de la loi: «Désormais la religion n'a plus aucun caractère officiel. La République ne couvre plus l'exploitation scandaleuse de la crédulité humaine, du fanatisme et de la superstition; elle n'appointe plus les escrocs en soutane».

La Ligue des Droits de l'Homme écrira à «L'Humanité» de Jaurès pour: «saluer avec joie ce mémorable événement». Jaurès qui votera la loi (..) s'écriera: «La loi de séparation c'est la marche délibérée de l'esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l'entière raison».

Contre l'obscurantisme: La raison

On ne triomphe pas d'un dogme par la répression. On ne triomphe de l'Obscurantisme que par la Raison. Pendant quatorze siècles, l'Eglise a eu à sa disposition, non seulement l'éloquence de ses prêtres, non seulement le zèle de ses congrégations, mais aussi la complicité empressée du pouvoir temporel. Tout cela n'a pas empêché que la Libre Pensée, peu à peu, par son propre effort, contre toutes les persécutions, contre toutes les violences, soit arrivée à faire voter la loi de séparation des Eglises et de l'Etat.

Le point de vue de Marx er d'Engels

La loi de 1905 est l'application des principes qu'ils avaient défendus dans la «Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt». Le Parti doit être athée et lutter contre les religions, y compris comme doctrines, mais l'Etat doit être laïque. Il ne doit pas s'ingérer dans la conscience des citoyens. Marx et Engels refusaient l'athéisme d'Etat.

L'Etat doit être laïque, c'est-à-dire neutre sur le plan confessionnel et religieux, mais le parti ouvrier doit être athée et antireligieux. Le Parti ne doit pas être laïque, parce qu'il doit s'occuper de problèmes de religion, ils pensent que la religion «c'est l'opium du peuple» et qu'il faut la combattre parce que c'est une source d'oppression. Mais l'Etat, lui, n'a pas la même fonction. Les partis représentent des intérêts particuliers, mais l'Etat, lui, représente l'intérêt général. Il ne peut donc avoir une conception métaphysique du monde. Il y a donc tout un débat qui se mène. Dans toute l'histoire du XXème siècle, il n'est qu'un seul Etat qui décrétera l'athéisme d'Etat, c'est l'Albanie avec le résultat qu'on connaît puisqu'il y a un retour en force des religions. Même les pays de l'Est dans leur constitution n'ont jamais décrété l'athéisme d'Etat. L'URSS, jusqu'à ce qu'arrive Gorbatchev, était régie par le décret de Lénine de 1918 décrétant la séparation de l'Eglise orthodoxe de l'Etat. C'était le modèle de la Révolution française et de la loi de 1905.

De la première a la deuxième guerre moniale

La loi de Séparation va réellement s'appliquer de 1905 à 1914. L'Union sacrée pendant la Première guerre mondiale va y porter un coup important. En 1918, la France recouvre les départements d'Alsace Moselle. Pour remercier l'Eglise, qui avait si bien entretenu les morales des troupes, on n'étend pas la législation laïque à ces trois départements, mais on y maintient la législation issue des lois de Bismarck. C'est la première entorse. En 1919, est votée la loi Astier qui organise l'enseignement technique et autorise le versement de fonds publics aux établissements privés. C'est la deuxième entorse. La troisième, c'est quand sont renouées les relations diplomatiques en 1924 (qui avaient été interrompues par la loi de 1905) avec le Vatican. Celui- ci n'est d'ailleurs pas à l'époque un Etat. Il ne le deviendra qu'en 1929 par les accords du Latran signés entre l'Eglise catholique et l'Italie fasciste. C'est la troisième entorse.

Pétain, de Gaulle et Mitterand

A peine la défaite consommée, l'Eglise et le Maréchal Pétain vont s'attaquer de concert à la Laïcité de l'Ecole et de l'Etat. Un extraordinaire dispositif législatif antilaïque va prendre corps entre 1940 et 1944, dont l'essentiel est encore maintenu de nos jours.

  • 15 Juillet 1940: les cardinaux écrivent à Pétain pour faire rétablir l'enseignement des religions à l'école publique.
  • Octobre 1940: les écoles normales sont supprimées.
  • 6 Décembre 1940: l'Etat Français décide que «les devoirs envers Dieu» seront enseignés à l'école publique.
  • 6 Janvier 1941: est décidé l'enseignement facultatif des religions à l'école.
  • 5 Février 1941: tous les biens mis sous séquestre par la loi de 1905 sont rendus à l'Eglise. Là, où les catholiques n'avaient pas constitué d'association cultuelle pour les gérer, la IIIème République les avait fermées. Ces bâtiments religieux, Pétain les rend à l'Eglise, parmi ces biens immobiliers : la grotte de Lourdes et l'Evêché d'Autun qui fut celui de Talleyrand . Cette loi ne sera pas abrogée à la Libération. L'Eglise redevient une puissance immobilière et le restera.
  • 1941: les évêques écrivent à Pétain pour que soit conclu un nouveau concordat avec le Vatican.
  • 2 Novembre 1941: une loi décide que les écoles privées catholiques seront subventionnées par les fonds publics. Plus tard, les Caisses des Ecoles publiques seront tenues de financer les écoles privées.
  • 8 Avril 1942: une loi abroge la loi de juillet 1904 sur les Congrégations. Celles-ci reviennent en masse en France et y resteront, puisque à la Libération, la loi de 1904 restera abrogée et la loi de Pétain maintenue.
  • 25 Décembre 1942: est votée une loi qui donne la capa- cité civile et testamentaire aux associations cultuelles ca- tholiques. C'est la loi de 1905 qui l'avait interdite pour em- pêcher que les prélats continuent de faire le siège des mourants pour arracher des dons à l'Eglise, moyennant un passeport pour «l'au-delà». Cette loi pétainiste ne sera pas abrogée à la Libération. Quand l'Eglise catholique reçoit le denier du culte, des dons et des legs, c'est au nom d'une loi de Vichy.
  • 3 Janvier 1943: une loi décide que tous les frais d'entre- tien des églises seront à la charge des communes. Cette disposition sera abrogée à la libération, mais facilement contournée depuis. A part cette loi, toutes les autres lois seront intégralement maintenues par tous les gouverne- ments de droite comme de gauche.

La Vème République du général de Gaulle va considérablement aggraver les lois antilaïques. François Mitterrand continuera dans la même voie. Et le 10 juillet 1989 la loi d'orientation de Lionel Jospin est votée. Elle constitue la plus grave attaque antilaïque jamais connue dans notre pays depuis l'adoption des lois de Jules Ferry: comme Pétain, Jospin supprime des Ecoles Normales. La loi privatise l'Ecole publique sur le modèle des écoles catholiques. Elle rend obligatoire le projet pédagogique propre à chaque école, elle brise le caractère universaliste de l'en- seignement public. Par le biais des «droits des élèves», elle va permettre -comme le dira clairement le Conseil d'Etat, le port des foulards islamiques, des croix et des kippas dans l'enceinte de l'Ecole publique.

Reconquerir la loi de 1905

La France connaît aujourd'hui différents statuts de relations de l'Etat avec les Eglises. A part en France métropolitaine (hormis l'Alsace Moselle) où s'applique théoriquement la loi de 1905, dans les Territoires d'Outre-Mer, il y a une réglementation concordataire.

C'est pourquoi, la Libre Pensée combat :

  • Pour le rétablissement de toutes les dispositions originelles de la loi de 1905 qui ont été abrogées par le régime de Vichy.
  • Pour l'abrogation du statut clérical d'Alsace Moselle.
  • Pour l'abrogation de toutes les lois scolaires antilaïques.

Nous considérons que la construction de l'Union euro- péenne recèle les plus grands dangers pour la laïcité en France et en Europe. Nous y reviendrons en détail dans l'exposé sur nos propositions de travail international en commun.


1 à l'intention de la traductrice: il ne s'agit pas de l'adjectif «bref», mais d'une sorte de lettre (courte) qu'on appelle un «bref», de même qu'une courte dépêche d'agence est appelée «une brève».